Philippe Terrier-Hermann : Mamonaku mon amour 2003, Jérôme MAUCHE  
  
pointligneplan projection du 22 avril 2004
La fémis 6 rue Francœur 75018 Paris

Si Terrier est Hermann, Hermann finira-t-il Terrier ?, ni Hyde ou Jekyll heureusement mais constitue le patronyme ronflant d’un brillant efficace artiste européen d’aujourd’hui, libre en partie, à mi-chemin d’Amsterdam (diplômé), Kyoto, Rome (résidence, villa), Paris (vie), lequel est pavé des meilleures intentions.
On rappellera que Terrier, est entre autres l’un des protagonistes du roman Dans ma chambre de Guillaume Dustan (P.O.L, 1998), gentil garçon qui de temps en temps s’offre une TS et que le héros wihlmenien sauve, Terrier il est vrai l’avait abrité lors de ses amours ravageuses avec Quentin; bref pour signifier que si l’art de TH peut relever aussi d’une esthétique gay par endroits c’est au sein d’un échange de services rendus dans les règles, satisfaction, hédonisme, positions sur le marché de l’art, cherchant sinon à les renouveler, mais au moins à en jouer, ce qui, paraît-il, est déjà considérable de nos jours.
Surtout on appréciera le stakhanovisme de l’artiste prêt à tout pour son art : shopping, shooting, cruising.
Car PTH produit exactement ce que l’on veut et par chance, avec prédilection, il désire pour nous beaucoup et plus encore que nous ne souhaitons probablement, preuve de la générosité intrinsèque du plus égoïste des discours : photo facile et belle pour l’essentiel, mode hyper hype à tous les étages de la boutique du plus grand luxe à l’hôtel réoxygénérant le plus proche, arrière-fond liminaire certes révolutionnaire mais un peu vain (ça se passe actuellement, rappelons-le), design raffiné moderniste un peu critique, mais aussi meubles à l’énième ou second degré, parfum, vacances, voyages, voitures bientôt ?, amours en tout cas, bonheur, banque de données d’images, soirées et chinoiseries (c’est-à-dire ici fausses pierres verdâtres dont la valeur est corrélée à l’achat de sa propre cote), intérieurs, films surtout, romances en plein air, châteaux et stratifications sociales, ce qui est si difficile (preuve que ce serait peut-être alors son véritable sujet, celui sur lequel on l’attend en tout cas), recyclant ses propres approximations toujours impeccablement en un genre artistique important, sérieux, léger, ondoyant, corrosif.
Un temps, cela s’appela Intercontinental ; depuis son séjour romain Philippe Terrier-Hermann alterne photos et films invoquant le roman d’ambiance immobile et sans action. Une ancêtre dans tous les sens Karen Knorr ; une ambition forte : balayer ce trash chic et le remplacer à partir du même et de l’identique qui renverrait sans scrupule aux collectionneurs terreau émetteur renvoyeur de leurs propres pratiques : image glamour, cliché à l’excès, ambigu sans l’emphase d’un Philippe Thomas et par-là doté d’une formidable mollesse ou plasticité conceptuelle très insidieuse, agréable aussi, en écho nécessaire, scrupuleux au temps présent si propice à la paresse activiste, espérant et ne le souhaitant à la fois pour Philippe Terrier-Hermann que le pire ne lui tombe dessus, à savoir que son oeuvre éminemment ciblée, signe et sigle des meilleures, trouve son public.
Encore qu’heureusement dominant et empêtrée dans ses propres contradictions constructives elle a peu de chances et qu’en bon lecteur de Guy Debord, sans avoir eu besoin de le lire, Philippe Terrier-Hermann ne le dévore plutôt que l’inverse, quoi l’éternité ?, non le succès ; l’agacement peut-être par instant ou jalousie d’ailleurs que génère tranquillement cette intégration si parfaite à sa propre allure, sans doute ce millimétrage impeccable gênent ou embêtent, argument donc de plus en sa faveur.
Ici PTH nous revient du Japon, nouvel Eldorado, d’après lui, des artistes français, parti lui aussi y filmer un immense clip de lieux communs exotico-modernico-traditionalistes quant à ce pays mais évite la méchanceté facile de Sofia Coppola dans Lost in translation, avec comme ciel dégagé soudain d’Asie un individu rencontré sur place top-model européen masculin cheveux clairs auquel notre missionnaire dévoue vingt-six minutes calculées au-delà de l’ennui immédiat pour y repartir, revenir, circulatoire comme une boule - on ne voit que ce jeune homme, on se japonise à défaut pour lui -, coincé par le sourire sollicité permanent de l’intéressé mutuellement amoureux de la caméra en constantes, plan après plan, retrouvailles avec elle-même et de l’ensemble des sigles bienheureux, luxueux, émerveillés qui éparpillent, nous n’en doutions pas, le monde, ville et bord de mer à l’autre bout de la planète, lequel débute néanmoins avec la voix de Jean-Pierre Léaud dans Liberté, la nuit de Garrel par un sublime travelling tournoyant de beauté au Lido, la plage, Europe, obsédantes années soixante-dix de nos naissances, celle de Philippe Terrier-Hermann du moins, en souvenir aussi de Mort à Venise (référence pas vraiment indispensable et qui alourdit cette petite chose volontaire qu’est Mamonaku mon amour puisqu’il n’est peut-être plus indispensable qu’on nous montre explicitement sans arrêt un crâne de nos jours pour bien nous signifier qu’il s’agit d’une vanité et s’achever en flash final finissant du blanc éperdu lumineux de ce mièvre visage tête à claques de Tadzio d’album de vacances, mais très réussies).
A bride abattue et toujours jauge de lui-même, complaisance comprise, pub, économisme, glamour, maîtrise en peinture et situation dans son propre champ artistique, non sans boulimie, PHT réemploie ce qui lui tombe sous la main sans cesse, s’il lui semble, critères nettement rafraîchissants, un peu Brichot parfois, distinctif, mimétique, bien-éduqué, enrichi pour sûr.
Avec un effet blister, pourrait-on dire, des plus curieux et incroyables, alors par quel organe et contact que réclament tout particulièrement lissées ses productions les dernières adhérer dans un sens, ni trop, ni en avant, ni ensuite pour mieux les saisir ? Les rater ?, mais elles nous rattraperaient.

Jérôme Mauche